Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/354

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les escadrons à la nage ; les trois quarts y périssent ; mais enfin le fleuve est passé. L’humanité ayant à sa disposition des forces infinies ne s’en montre pas économe.

Ces terribles problèmes sont insolubles à la pensée. Il n’y a qu’à croiser les bras avec désespoir. L’humanité sautera l’obstacle et fera tout pour le mieux. Absolution pour les vivants, et eau bénite pour les morts Ah qu’il est heureux que la passion se charge de ces cruelles exécutions ! Les belles âmes seraient trop timides et iraient trop mollement ! Quand il s’agit de fonder l’avenir en frappant le passé, il faut de ces redoutables sapeurs, qui ne se laissent pas amollir aux pleurs de femmes et ne ménagent pas les coups de hache. Les révolutions seules savent détruire les institutions depuis longtemps condamnées. En temps de calme, on ne peut se résoudre à frapper, lors même que ce qu’on frappe n’a plus de raison d’être. Ceux qui croient que la rénovation qui avait été nécessitée par tout le travail intellectuel du xviiie siècle eût pu se faire pacifiquement se trompent. On eût cherché à pactiser, on se fût arrêté à mille considérations personnelles, qui en temps de calme sont fort prisées on n’eût osé détruire franchement ni les privilèges ni les ordres religieux, ni tant d’autres abus. La tempête s’en charge. Le pouvoir temporel des papes est assurément périmé. Eh bien tout le monde en serait persuadé qu’on ne se déciderait point encore a balayer cette ruine. Il faudrait attendre pour cela le prochain tremblement de terre. Rien ne se fait par le calme on n’ose qu’en révolution. On doit toujours essayer de mener l’humanité par les voies pacifiques et de faire glisser les révolutions sur les pentes