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chose nécessaire. Tout le reste est vanité et affliction d’esprit.

L’ascétisme chrétien, en proclamant cette grande simplification de la vie, entendit d’une façon si étroite la seule chose nécessaire, que son principe devint avec le temps pour l’esprit humain une chaîne intolérable. Non seulement il négligea totalement le vrai et le beau (la philosophie, la science, la poésie étaient des vanités) ; mais, en s’attachant exclusivement au bien, il le conçut sous sa forme la plus mesquine : le bien fut pour lui la réalisation de la volonté d’un être supérieur, une sorte de sujétion humiliante pour la dignité humaine car la réalisation du bien moral n’est pas plus une obéissance à des lois imposées que la réalisation du beau dans une œuvre d’art n’est l’exécution de certaines règles. Ainsi la nature humaine se trouva mutilée dans sa portion la plus élevée. Parmi les choses intellectuelles qui sont toutes également saintes, on distingua du sacré et du profane. Le profane, grâce aux instincts de la nature plus forts que les principes d’un ascétisme artificiel, ne fut pas entièrement banni ; on le tolérait, quoique vanité ; quelquefois on s’adoucissait jusqu’à l’appeler la moins vaine des vanités ; mais, si l’on eût été conséquent, on l’eût proscrit sans pitié ; c’était une faiblesse à laquelle les parfaits renonçaient. Fatale distinction, qui a empoisonné l’existence de tant d’âmes belles et libres, nées pour savourer l’idéal dans toute son infinité, et dont la vie s’est écoulée triste et oppressée sous l’étreinte de l’étau fatal ! Que de luttes elle m’a coûtées ! La première victoire philosophique de ma jeunesse fut de proclamer du fond de ma conscience : Tout ce qui est de l’âme est sacré.

Ce n’est donc pas une limite étroite que nous posons