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enlevée. Ce qu’il y a de sûr, c’est que si l’humanité était aussi cultivée que nous, elle aurait la même religion que nous.

Si donc vous reprochez au philosophe l’excellence exceptionnelle de sa religion, reprochez aussi à celui qui cherche dans la vie ascétique une plus haute perfection d’être appelé à un état exceptionnel ; reprochez à celui qui cultive son esprit de sortir de la ligne vulgaire de l’humanité. Il faut le reconnaître, quelque douloureux que soit cet aveu, la perfection, dans l’état actuel de la société, n’est possible qu’à très peu d’hommes. Faut-il en conclure que la perfection est mauvaise et injurieuse à l’humanité ? Non, certes ; il faut seulement regretter qu’elle soit assujettie à des conditions si étroites. C’est un intolérable orgueil de la part du philosophe de croire qu’il a le monopole de la vie supérieure ce serait chez lui un égoïsme tout à fait coupable de se réjouir de son isolement et de prolonger à dessein l’abrutissement de ses semblables pour ne point avoir d’égaux. Mais on ne peut lui faire un crime de s’élever au-dessus de la dépression commune, et de s’écrier avec saint Paul : Cupio omnes fieri qualis et ego sum. Ne dites donc plus : L’infériorité de la philosophie est d’être accessible à un petit nombre ; car c’est au contraire son titre de gloire. La seule conclusion pratique à tirer de cette triste vérité, c’est qu’il faut travailler à avancer l’heureux jour où tous les hommes auront place au soleil de l’intelligence et seront appelés à la vraie lumière des enfants de Dieu.

Ce serait un bien doux mais bien chimérique optimisme d’espérer que ce jour est près de nous. Mais c’est le propre de la foi d’espérer contre l’espérance, et il n’est rien après tout que le passé ne nous autorise à attendre de l’avenir