Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

par toutes les religions et toutes les philosophies élevées, opposition très superficielle si on prétend y voir une dualité de substance dans la personne humaine, mais qui demeure d’une parfaite vérité, si, élargissant convenablement le sens de ces deux mots et les appliquant à deux ordres de phénomènes, on les entend des deux vies ouvertes devant l’homme. Reconnaître la distinction de ces deux vies, c’est reconnaître que la vie supérieure, la vie idéale, est tout, et que la vie inférieure, la vie des intérêts et des plaisirs n’est rien, qu’elle s’efface devant la première comme le fini devant l’infini, et que si la sagesse pratique ordonne d’y penser, ce n’est qu’en vue et comme condition de la première.

En débutant par de si pesantes vérités, j’ai pris, je le sais, mon brevet de béotien. Mais sur ce point je suis sans pudeur ; depuis longtemps je me suis placé parmi les esprits simples et lourds qui prennent religieusement les choses. J’ai la faiblesse de regarder comme de mauvais ton et très facile à imiter cette prétendue délicatesse, qui ne peut se résoudre à prendre la vie comme chose sérieuse et sainte ; et, s’il n’y avait pas d’autre choix à faire, je préférerais, au moins en morale, les formules du plus étroit dogmatisme à cette légèreté, à laquelle on fait beaucoup d’honneur en lui donnant le nom de scepticisme, et qu’il faudrait appeler niaiserie et nullité. S’il était vrai que la vie humaine ne fût qu’une vaine succession de faits vulgaires, sans valeur suprasensible, dès la première réflexion sérieuse, il faudrait se donner la mort ; il n’y aurait pas de milieu entre l’ivresse, une occupation tyrannique de tous les instants, et un suicide. Vivre de la vie de l’esprit, aspirer l’infini par tous les pores, réaliser le beau, atteindre le parfait, chacun suivant sa mesure, c’est la seule