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contraire, de tels dogmes semblent absurdes ; chacun ne paie que pour lui, chacun est le fils de ses œuvres. Chez nous, toute connaissance est antithétique en face du bien, nous voyons le mal ; en face du beau, le laid ; quand nous affirmons, nous nions, nous voyons l’objection, nous nous roidissons, nous argumentons. Dans l’âge primitif, au contraire, l’affirmation était simple et sans retour.

Certes, si l’analyse n’avait pas un but ultérieur, elle serait décidément inférieure au syncrétisme primitif. Car celui-ci saisissait la vie complète, et l’analyse ne la saisit pas. Mais l’analyse est la condition nécessaire de la synthèse véritable : cette diversité se résoudra de nouveau en unité ; la science parfaite n’est possible qu’à la condition de s’appuyer préalablement sur l’analyse et la vue distincte des parties. Les conditions de la science sont pour l’humanité les mêmes que pour l’individu : l’individu ne sait bien que l’ensemble dont il connaît séparément les éléments divers, en même temps qu’il perçoit le rôle de ces éléments dans le tout. L’humanité ne sera savante que quand la science aura tout exploré jusqu’au dernier détail et reconstruit l’être vivant après l’avoir disséqué. Ne raillez donc point le savant qui s’enfonce de plus en plus dans ces épines. Sans doute, si ce pénible dépouillement était son but à lui-même, la science ne serait qu’un labeur ingrat et avilissant. Mais tout est noble en vue de la grande science définitive, où la poésie, la religion, la science, la morale retrouveront leur harmonie dans la réflexion complète. L’âge primitif était religieux, mais non scientifique ; l’âge intermédiaire aura été irréligieux mais scientifique ; l’âge ultérieur sera à la fois religieux et scientifique. Alors il y aura de nouveau des Orphée et des Trismégiste, non plus pour chanter à des peuples enfants