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cela forme, ce semble, une objection tout à fait sans réponse contre ceux qui s’obligent à trouver dans chacun de ces récits une histoire vraie à la lettre et jusque dans ses moindres détails. Il n’en est pourtant pas ainsi. Car, si les circonstances sont seulement différentes et non absolument inconciliables, ils diront que l’un des textes a conservé certains détails omis par l’autre, et ils mettront bout à bout les circonstances diverses au risque d’en faire le récit le plus grotesque. Si les circonstances sont décidément contradictoires, ils diront que le fait raconté est double ou triple, bien qu’aux yeux de la saine critique les divers narrateurs aient évidemment en vue le même événement. C’est ainsi que les récits de Jean et des synoptiques (on désigne sous ce nom collectif Matthieu, Marc et Luc) sur la dernière entrée de Jésus à Jérusalem étant inconciliables, les harmonistes supposent qu’il y entra deux fois coup sur coup. C’est ainsi que les trois reniements de saint Pierre, étant racontés diversement par les quatre Évangiles, constituent aux yeux de ces critiques huit ou neuf reniements différents, tandis que Jésus avait prédit qu’il ne renierait que trois fois. Les circonstances de la résurrection donnent lieu à des difficultés analogues, auxquelles on oppose des solutions semblables. Que dire d’une pareille explication ? Qu’elle renferme une impossibilité métaphysique ? Non. Il sera à jamais impossible de réduire au silence celui qui la soutiendra obstinément ; mais quiconque a tant soit peu d’éducation critique la repoussera comme contraire à toutes les lois d’une herméneutique raisonnable, surtout quand elle est souvent répétée. Il n’y a pas de difficulté dont on ne puisse sortir par une subtilité, et au fond une subtilité peut quelquefois être vraie. Mais ce qui est