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souffler où il veut. Toute manière de réaliser le beau est légitime, et le génie a toujours le même droit de créer. L’œuvre belle est celle qui représente, sous des traits finis et individuels, l’éternelle et infinie beauté de la nature humaine.

Le savant seul a le droit d’admirer. Non seulement la critique et l’esthétique, qu’on considère comme opposées, ne s’excluent pas mais l’une ne va pas sans l’autre. Tout est à la fois admirable et critiquable, et celui-là seul sait admirer qui sait critiquer. Comment comprendre par exemple la beauté d’Homère sans être savant, sans connaître l’antique, sans avoir le sens du primitif ? Qu’admire-t-on d’ordinaire dans ces vieux poèmes ? De petites naïvetés, des traits qui font sourire, non ce qu’est véritablement admirable, le tableau d’un âge de l’humanité dans son inimitable vérité. L’admiration de Chateaubriand n’est si souvent défectueuse, que parce que le sens esthétique si éminent dont il était doué ne reposait pas sur une solide instruction (133).

C’est donc par des travaux de philosophie scientifique que l’on peut espérer d’ajouter, dans l’état actuel de l’esprit humain, au domaine des idées acquises. Quand on songe au rôle qu’ont joué dans l’histoire de l’esprit humain des hommes comme Érasme, Bayle, Wolf, Niebuhr, Strauss, quand on songe aux idées qu’ils ont mises en circulation, ou dont ils ont hâté l’avènement, on s’étonne que le nom de philosophe, prodigué si libéralement à des pédants obscurs, à d’insignifiants disciples, ne puisse s’appliquer à de tels hommes. Les résultats de la haute science sont longtemps, je le sais, à entrer en circulation. Des immenses travaux déjà accomplis par les indianistes modernes, quelques atomes à peine sont déjà devenus