Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Depuis qu’on a répété (et avec raison) que la Bible est admirable, tout le monde prétend bien admirer la Bible. Il est résulté de cette disposition favorable qu’on y a précisément admiré ce qui n’y est pas. Bossuet, que l’on croit si biblique, et qui l’est si peu, s’extasie devant les contresens et les solécismes de la Vulgate, et prétend y découvrir des beautés dont il n’y a pas trace dans l’original (132). Le bon Rollin y va plus naïvement encore et relève dans le Cantique de la Mer Rouge, l’exorde, la suite des pensées, le plan, le style même. Enfin Lowth, plus insipide que tous les autres, nous fait un traité de rhétorique aristotélicienne sur la Poésie des Hébreux, où l’on trouve un chapitre sur les métaphores de la Bible, un autre sur les comparaisons, un autre sur les prosopopées, un autre sur le sublime de diction, etc., sans soupçonner un instant ce qui fait la beauté de ces antiques poèmes, savoir l’inspiration spontanée, indépendante des formes artificielles et réfléchies de l’esprit humain jeune et neuf dans le monde, portant partout le Dieu dont il conserve encore la récente impression.

L’admiration, pour n’être point vaine et sans objet, doit donc être historique, c’est-à-dire érudite. Chaque œuvre est belle dans son milieu, et non parce qu’elle rentre dans ]’un des casiers que l’on s’est formé d’une manière plus ou moins arbitraire. Tracer des divisions absolues dans la littérature, déclarer que toute œuvre sera une épopée, ou une ode, ou un roman, et critiquer les œuvres du passé d’après les règles qu’on s’est posées pour chacun de ces genres, blâmer Dante d’avoir fait une œuvre qui n’est ni une épopée, ni un drame, ni un poème didactique, blâmer Klopstock d’avoir pris un héros trop parfait, c’est méconnaître la liberté de l’inspiration et le droit qu’a l’esprit de