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de la plus scrupuleuse érudition, que jusque-là elle restera au point où en étaient les sciences physiques avant Bacon, errant d’hypothèse en hypothèse, sans marche arrêtée, ne sachant quelle forme donner à ses lois et ne dépassant jamais la sphère des créations artificielles et fantastiques ?

Que serait-ce si je montrais que la critique littéraire, qui est notre domaine propre, et dont nous sommes à bon droit si fiers, ne peut être sérieuse et profonde que par l’érudition ? Comment saisir la physionomie et l’originalité des littératures primitives, si on ne pénètre la vie morale et intime de la nation, si on ne se place au point même de l’humanité qu’elle occupa, afin de voir et de sentir comme elle, si on ne la regarde vivre, ou plutôt si on ne vit un instant avec elle ? Rien de plus niais d’ordinaire que l’admiration que l’on voue a l’antiquité. On n’y admire pas ce qu’elle a d’original et de véritablement admirable ; mais on relève mesquinement dans les œuvres antiques les traits qui se rapprochent de notre manière ; on cherche à faire valoir des beautés qui chez nous, on est forcé de l’avouer, seraient de second ordre. L’embarras des esprits superficiels vis-à-vis des grandes œuvres des littératures classiques est des plus risibles. On part de ce principe qu’il faut à tout prix que ces œuvres soient belles, puisque les connaisseurs l’ont décidé. Mais, comme on n’est pas capable, faute d’érudition, d’en saisir la haute originalité, la vérité, le prix dans l’histoire de l’esprit humain, on se relève par les menus détails ; on s’extasie devant de prétendues beautés, auxquelles l’auteur ne pensait pas on s’exagère à soi-même son admiration on se figure enthousiaste du beau antique, et on n’admire en effet que sa propre niaiserie. Admiration toute conven-