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de durs reproches à ceux que des circonstances fatales ont privés du jour de la critique. Je suis sûr que M. Eugène Burnouf ne s’est jamais pris de colère contre les auteurs de la vie fabuleuse de Buddha, et que ceux qui, parmi les Européens, ont écrit l’histoire de Mahomet, n’ont jamais ressenti un bien violent dépit contre Abulféda et les auteurs musulmans qui ont écrit en vrais croyants la vie de leur prophète.

Les apologistes soutiennent que ce sont les religions qui ont fait toutes les grandes choses de l’humanité, et ils ont raison. Les philosophes croient travailler pour l’honneur de la philosophie en abaissant les religions, et ils ont tort. Pour nous autres, qui ne plaidons qu’une seule cause, la cause de l’esprit humain, notre admiration est bien plus libre. Nous croirions nous faire tort à nous-mêmes en n’admirant pas quelque chose de ce que l’esprit humain a fait. Il faut critiquer les religions comme on critique les poèmes primitifs. Est-on de mauvaise humeur contre Homère ou Valmiki, parce que leur manière n’est plus celle de notre âge ?

Personne, grâce à Dieu, n’est plus tenté, de nos jours, d’aborder les religions avec cette dédaigneuse critique du xviiie siècle, qui croyait tout expliquer par des mots d’une clarté superficielle, superstition, crédulité, fanatisme. Aux yeux d’une critique plus avancée, les religions sont les philosophies de la spontanéité, philosophies amalgamées d’éléments hétérogènes, comme l’aliment, qui ne se compose pas seulement de parties nutritives. En apparence la fine fleur serait préférable, mais l’estomac ne pourrait la supporter. Des formules exclusivement scientifiques ne fourniraient qu’une nourriture sèche, et cela est si vrai que toute grande pensée