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de l’homme, et nous fait toucher les origines. Je suis convaincu, pour ma part, que la langue que parlèrent les premiers êtres pensants de la race sémitique différait très peu du type commun de toutes ces langues, tel qu’il se présente dans l’hébreu ou le syriaque. Il est indubitable, au moins, que les racines de ces idiomes, les racines qui forment encore aujourd’hui le fond d’une langue parlée sur une grande partie du globe, furent les premières qui retentirent dans les poitrines fortes et profondes des pères de cette race. Et, quoiqu’il semble paradoxal de soutenir la même chose pour nos langues métaphysiques, tourmentées par tant de révolutions, on peut affirmer sans crainte qu’elles ne renferment pas un mot, pas un procédé qu’on ne puisse rattacher par une filiation directe aux premières impressions des premiers enfants de Dieu. Songeons donc, au nom du ciel, à ce que nous avons entre les mains, et travaillons à déchiffrer cette médaille des anciens jours.

On se figure d’ordinaire les lois de l’évolution de l’esprit humain comme beaucoup trop simples. Il y a un extrême danger à donner une valeur historique et chronologique aux évolutions que l’on conçoit comme ayant du être successives, à supposer, par exemple, que l’homme débute par l’anthropophagie, parce que cet état est conçu comme le plus grossier. La réalité est autrement variée. Il n’y a pas de penseur qui en réfléchissant sur l’histoire de l’humanité n’arrive à sa formule ; ces formules ne coïncident pas, et pourtant ne sont pas contradictoires. C’est qu’en effet il n’y a pas dans l’humanité deux développements absolument identiques  (116). Il y a des lois, mais des lois très profondes on n’en voit jamais l’action simple, le résultat est toujours compliqué de circonstances accidentelles. Les noms généraux par lesquels on