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sait ce qui va sortir. Il croit plus au possible, parce qu’il connait moins le réel. Cette charmante petite ivresse de la vie qu’il porte en lui-même lui donne le vertige ; il ne voit le monde qu’à travers une vapeur doucement colorée jetant sur toutes choses un curieux et joyeux regard, il sourit à tout, tout lui sourit. De là ses joies et aussi ses terreurs : il se fait un monde fantastique qui l’enchante ou qui l’effraye ; il n’a pas cette distinction qui, dans l’âge de la réflexion, sépare si nettement le moi et le non-moi ; et nous pose en froids observateurs vis-à-vis de la réalité. Il se mêle à tous ses récits : le narré simple et objectif du fait lui est impossible ; il ne sait point l’isoler du jugement qu’il en a porté et de l’impression personnelle qui lui en est restée. Il ne raconte pas les choses, mais les imaginations qu’il s’est faites à propos des choses, ou plutôt il se raconte lui-même. L’enfant se crée à son tour tous les mythes que l’humanité s’est créés : toute fable qui frappe son imagination est par lui acceptée ; lui-même s’en improvise d’étranges, et puis se les affirme (111). Tel est le procédé de l’esprit humain, aux époques mythiques. Le rêve pris pour une réalité et affirmé comme tel. Sans préméditation mensongère, la fable nait d’elle-même ; aussitôt née, aussitôt acceptée, elle va se grossissant comme la boule de neige ; nulle critique n’est la pour l’arrêter. Et ce n’est pas seulement aux origines de l’esprit humain que l’âme se laisse jouer par cette aimable duperie : la fécondité du merveilleux dure jusqu’à l’avènement définitif de l’âge scientifique, seulement avec moins de spontanéité, et en s’assimilant plus d’éléments historiques.

Voilà un principe susceptible de devenir la base de toute une philosophie de l’esprit humain, et autour duquel se groupent les résultats les plus importants de