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temps et le manque d’imprimerie ont si énormément simplifiée pour nous, a suffi pour occuper tant de laborieuses vies, que sera-ce de la nôtre, qu’il faudra extraire d’une si prodigieuse masse de documents ? Même raisonnement pour nos bibliothèques. Si la Bibliothèque nationale continue à s’enrichir de toutes les productions nouvelles, dans cent ans, elle sera absolument impraticable, et sa richesse même l’annulera (106). Il y a donc là une progression qui ne peut continuer indéfiniment sans amener une révolution dans la science. Il serait puéril de se demander comment elle se fera. Y aura-t-il une grande simplification comme celle qui fut opérée par les barbares ? Des méthodes nouvelles faciliteront-elles la polymathie ? Nous ne pouvons hasarder sur ce sujet aucune hypothèse raisonnable.

Sans être partisan du communisme littéraire et scientifique, je crois pourtant qu’il est urgent de combattre la dispersion des forces et de concentrer le travail. L’Allemagne pratique à cet égard plusieurs usages vraiment utiles. Il n’est pas rare de voir dans les journaux littéraires, dans les actes des Congrès philologiques, etc., un savant prévenir ses confrères qu’il a entrepris un travail spécial sur tel sujet, et les prier en conséquence de lui envoyer tout ce que leurs études particulières leur ont fait rencontrer sur ce point. Sans vouloir rien préciser, je concevrais que, dans une organisation sérieuse de la science, on ouvrît ainsi des problèmes publics où chacun vînt apporter son contingent de faits. Les académies, surtout les académies à travaux communs, telles que l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, répondent au besoin que je signale ; mais pour qu’elles y satisfassent tout à fait, il faudrait leur faire subir de profondes transformations.