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l’esprit humain dépendent des plus menus détails philologiques.

Bien loin donc que les travaux spéciaux soient le fait d’esprits peu philosophiques, ce sont les plus importants pour la vraie science et ceux qui supposent le meilleur esprit. Qui pourrait mieux que M. Eugène Burnouf écrire sur la littérature indienne de savantes généralités ! Eh bien ! il ne le fait qu’à contre-cœur, comme accessoire et accidentellement, parce qu’il considère avec raison l’étude positive, la publication des textes, la discussion philologique comme l’œuvre essentielle et la plus urgente. Dans sa préface du Bhagavata-Purana, M. Eugène Burnouf, s’excusant auprès des savants de donner quelques aperçus généraux, proteste qu’il ne le fait que pour le lecteur français, et qu’il n’attache qu’une importance secondaire à un travail qui devra se faire plus tard, et qui, tel qu’il pourrait être fait aujourd’hui, serait nécessairement dépassé et rendu par la suite inutile. Est-ce humilité d’esprit, est-ce amour des humbles choses pour elles-mêmes ? Non : c’est saine méthode, et rectitude de jugement. Dans l’état actuel de la littérature sanskrite, en effet, la publication et la traduction des textes vaut mieux que toutes les dissertations possibles, soit sur l’histoire de l’Inde, soit sur l’authenticité et l’intégrité des ouvrages. Les esprits superficiels seraient tentés de croire, qu’une intelligence élevée ferait œuvre plus méritoire et plus honorable en écrivant une histoire littéraire de l’Inde, par exemple, qu’en se livrant au labeur ingrat de l’édition des textes et de la traduction. C’est une erreur. Il ne s’agit pas encore de disserter sur une littérature dont on ne possède pas tous les éléments. C’est comme si Pétrarque, Boccace et le Pogge avaient voulu faire la théorie de la littérature