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Et en supposant même (ce qui est vrai) que les détails demeurent nécessaires pour l’intelligence des résultats généraux, les moyens, les machines, si j’ose le dire, par lesquels les Prinsep et les Lassen ont déchiffré cette page de l’histoire humaine, auront à peu près perdu leur valeur, ou seront tout au plus conservés comme bas-reliefs sur le piédestal de l’obélisque qu’ils auront servi à élever. « Les érudits du xixe siècle, dira-t-on, ont démontré…. » Et tout sera dit.

Il faut se représenter la science comme un édifice séculaire, qui ne pourra s’élever que par l’accumulation de masses énormes. Une vie entière de laborieux travaux ne sera qu’une pierre obscure et sans nom dans ces constructions gigantesques, peut-être même un de ces moellons ignorés cachés dans l’épaisseur des murs. N’importe : on a sa place dans le temple, on a contribué à la solidité de ses lourdes assises (100). Les auteurs de monographies ne peuvent raisonnablement espérer de voir leurs travaux vivre dans leur propre forme ; les résultats qu’ils ont mis en circulation subiront de nombreuses transformations, une digestion, si j’ose le dire, et une assimilation intimes. Mais, à travers toutes ces métamorphoses, ils auront l’honneur d’avoir fourni des éléments essentiels à la vie de l’humanité. La gloire des premiers explorateurs est d’être dépassée et de donner à leurs successeurs les moyens par lesquels ceux-ci les dépasseront. « Mais cette gloire est immense, et elle doit être d’autant moins contestée par celui qui vient le second, que lui-même n’aura vraisemblablement aux yeux de ceux qui plus tard s’occuperont du même sujet, que le seul mérite de les avoir précédés (101). »

L’oubli occupe une large place dans l’éducation scien-