Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

part proportionnelle qui en revient à chacun est bien plus forte que s’il était resté isolé. Ces pauvres femmes, séparées, eussent été vulgaires, et n’eussent fait presque aucune figure dans l’humanité ; réunies, elles représentent avec énergie un de ses éléments les plus essentiels du monde, la douce, timide et pensive piété.

Personne n’est donc inutile dans l’humanité. Le sauvage, qui vit à peine la vie humaine, sert du moins comme force perdue. Or, je l’ai déjà dit, il était convenable qu’il y eût surabondance dans le dessin des formes de l’humanité. La croyance à l’immortalité n’implique pas autre chose que cette invincible, confiance de l’humanité dans l’avenir. Aucune action ne meurt. Tel insecte qui n’a eu d’autre vocation que de grouper sous une forme vivante un certain nombre de molécules et de manger une feuille a fait une œuvre qui aura des conséquences dans la série éternelle des causes.

La science, comme toutes les autres faces de la vie humaine, doit être représentée de cette large manière. Il ne faut pas que les résultats scientifiques soient maigrement et isolément atteints. Il faut que le résidu final qui restera dans le domaine de l’esprit humain soit extrait d’un vaste amas de choses. De même qu’aucun homme n’est inutile dans l’humanité, de même aucun travailleur n’est inutile dans le champ de la science. Ici, comme partout, il faut qu’il y ait une immense déperdition de force. Quand on songe au vaste engloutissement de travaux et d’activité intellectuelle, qui s’est fait, depuis trois siècles et de nos jours, dans les recueils périodiques, les revues, etc., travaux dont il reste souvent si peu de chose, on éprouve le même sentiment qu’en voyant la ronde éternelle des générations s’engloutir dans la tombe, en se tirant par la