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analogue. L’hébreu, leur type le plus ancien, disparaît à une époque reculée, pour laisser dominer seuls le chaldéen, le samaritain, le syriaque, dialectes plus analysés, plus longs, plus clairs aussi quelquefois, lesquels vont à leur tour successivement s’absorber dans l’arabe. Mais l’arabe, trop savant à son tour pour l’usage vulgaire d’étrangers, qui ne peuvent observer ses flexions délicates et variées, voit le solécisme devenir de droit commun, et ainsi, à côté de la langue littérale, qui devient le partage exclusif des écoles, l’arabe vulgaire d’un système plus simple et moins riche en formes grammaticales. Les langues de l’ouest et du centre de l’Asie présenteraient plusieurs phénomènes analogues dans la superposition du chinois ancien et du chinois moderne, du tibétain ancien et du tibétain moderne ; et les langues malaises, dans cette langue ancienne à laquelle Marsden et Crawfurd ont donne le nom de grand polynésien, qui fut la langue de la civilisation de Java, et que Balbi appelle le sanskrit de l’Océanie.

Mais que devient la langue ancienne ainsi expulsée de l’usage vulgaire par le nouvel idiome ? Son rôle, pour être changé, n’en est pas moins remarquable. Si elle cesse d’être l’intermédiaire du commerce habituel de la vie, elle devient la langue savante et presque toujours la langue sacrée du peuple qui l’a décomposée. Fixée d’ordinaire dans une littérature antique, dépositaire des traditions religieuses et nationales, elle reste le partage des savants, la langue des choses de l’esprit, et il faut d’ordinaire des siècles avant que l’idiome moderne ose a son tour sortir de la vie vulgaire, pour se risquer dans l’ordre des choses intellectuelles. Elle devient en un mot classique, sacrée, liturgique, termes corrélatifs suivant les