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Pascal, les Sermons de Bossuet ; mais je les admire comme œuvres du xviie siècle. Si ces œuvres paraissaient de nos jours, elles mériteraient à peine d’être remarquées. La vraie admiration est historique. La couleur locale a un charme incontestable quand elle est vraie ; elle est insipide dans le pastiche. J’aime l’Alhambra et Broceliande dans leur vérité ; je me ris du romantique qui croit, en combinant ces mots, faire une œuvre belle. Là est l’erreur de Chateaubriand et la raison de l’incroyable médiocrité de son école. Il n’est plus lui-même lorsque, sortant de l’appréciation critique, il cherche à produire sur le modèle des œuvres dont il relève judicieusement les beautés.

Parmi les œuvres de Voltaire, celles-là sont bien oubliées, où il a copié les formes du passé. Qui est-ce qui lit la Henriade ou les tragédies en dehors du collège ! Mais celles-là sont immortelles où il a déposé l’élégant témoignage de sa finesse, de son immoralité, de son spirituel scepticisme ; car celles-là sont vraies. J’aime mieux la Fête de Bellébat ou la Pucelle, que la Mort de César ou le poème de Fontenoy. Infâme, tant qu’il vous plaira ; c’est le siècle, c’est l’homme. Horace est plus lyrique dans Nunc est bibendum que dans Qualem ministrum fulminis alitem.

C’est donc uniquement au point de vue de l’esprit humain, en se plongeant dans son histoire non pas en curieux, mais par un sentiment profond et une intime sympathie, que la vraie admiration des œuvres primitives est possible. Tout point de vue dogmatique est absolu, toute appréciation sur des règles modernes est déplacée, La littérature du xviie siècle est admirable sans doute, mais à condition qu’on la reporte à son milieu, au xviie siècle. Il n’y a que des pédants de collège qui puissent y voir le type éternel de la beauté. Ici comme partout,