Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

supérieur à l’Iliade, ou pour mieux dire que l’Iliade vaut un monde, tandis que l’œuvre du moderne est destinée à aller moisir sur les rayons des bibliothèques, après avoir un instant amusé les curieux. Qu’est-ce donc qui fait la beauté d’Homère, puisqu’un poème absolument semblable au sien, écrit au xixe siècle, ne serait pas beau ? C’est que le poème homérique du xixe siècle ne serait pas vrai. Ce n’est pas Homère qui est beau, c’est la vie homérique, la phase de l’existence de l’humanité décrite dans Homère. Ce n’est pas la Bible qui est belle ; ce sont les mœurs bibliques, la forme de vie décrite dans la Bible. Ce n’est pas tel poème de l’Inde qui est beau, c’est la vie indienne. Qu’admirons-nous dans le Télémaque ? Est ce l’imitation parfaite de la forme antique ? Est-ce telle description, telle comparaison empruntée à Homère ou Virgile ? Non, cela nous fait dire froidement et comme s’il s’agissait de la constatation d’un fait « Cet homme avait bien délicatement saisi le goût antique ». Ce qui provoque notre admiration et notre sympathie, c’est précisément ce qu’il y a de moderne dans ce beau livre ; c’est le génie chrétien qui a dicté à Fénelon la description des champs Élysées ; c’est cette politique si morale et si rationnelle devinée par miracle au milieu des saturnales du pouvoir absolu.

La vraie littérature d’une époque est celle qui la peint et l’exprime (91). Des orateurs sacrés du temps de la Restauration nous ont laissé des oraisons funèbres imitées de celles de Bossuet et presque entièrement composées des phrases de ce grand homme. Eh bien ! ces phrases, qui sont belles dans l’œuvre du xviie siècle, parce que là elles sont sincères, sont ici insignifiantes, parce qu’elles sont fausses, et qu’elles n’expriment pas les sentiments du