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analogue à la minéralogie. Cela est si vrai qu’en se plaçant à ce point de vue, on ne doit plus faire la science de l’âme car il y en a de diverses espèces, mais la science des âmes. Ainsi l’entendait Aristote, bien moins coupable pourtant qu’on ne pourrait le croire, car l’âme n’est guère pour lui que le phénomène persistant de la vie. Ainsi l’entendait surtout la vieille philosophie, qui poussait le grotesque jusqu’à constituer une science appelée pneumatologie, ou science des êtres spirituels (Dieu, l’homme, l’ange et peut-être les animaux, disaient-ils), à peu près comme si en histoire naturelle on constituait une science qui s’occupât du cheval, de la licorne, de la baleine et du papillon. La psychologie écossaise évita ces niaiseries scolastiques ; mais elle se tint encore beaucoup trop au point de vue de l’être, et pas assez au point de vue du devenir ; elle comprit encore la philosophie comme l’étude de l’homme envisagé d’une manière abstraite et absolue, et non comme L’étude de l’éternel fieri. La science de l’homme ne sera posée à son véritable jour, que lorsqu’on se sera bien persuadé que la conscience se fait, que d’abord faible, vague, non centralisée, chez l’individu comme dans l’humanité, elle arrive à travers des phases diverses à sa plénitude. On comprendra alors que la science de l’âme individuelle, c’est l’histoire de l’âme individuelle, et que la science de l’esprit humain, c’est l’histoire de l’esprit humain.

Le grand progrès de la réflexion moderne a été de substituer la catégorie du devenir à la catégorie de l’être, la conception du relatif à la conception de l’absolu, le mouvement à l’immobilité. Autrefois tout était considéré comme étant ; on parlait de droit, de religion, de politique, de poésie d’une façon absolue (85). Maintenant tout est