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dedans, un fieri continuel. Dès lors, elles ont, comme tous les êtres soumis à la loi de la vie changeante et successive, leur marche et leurs phases, leur histoire en un mot, par suite de cette impulsion secrète qui ne permet point à l’homme et aux produits de son esprit de rester stationnaires.

La psychologie, de même, s’est beaucoup trop arrêtée à envisager l’homme au point de vue de l’être, et ne l’a pas assez envisagé dans son devenir. Tout ce qui vit a une histoire : or l’homme psychologique comme le corps humain, l’humanité comme l’individu, vivent et se renouvellent. C’est un tableau mouvant où les masses de couleurs, se fondant l’une dans l’autre par des dégradations insaisissables, se nuanceraient, s’absorberaient, s’étendraient, se limiteraient par un jeu continu. C’est une action et une réaction réciproques, un commerce de parties communes, une végétation sur un tronc commun. On chercherait en vain dans cet éternel devenir, l’élément stable, auquel pourrait s’appliquer l’anatomie. Le mot âme, si excellent pour désigner la vie suprasensible de l’homme, devient fallacieux et faux, si on l’entend d’un fond permanent, qui serait le sujet toujours identique des phénomènes. C’est cette fausse notion d’un substratum fixe qui a donné à la psychologie ses formes raides et arrêtées. L’âme est prise pour un être fixe, permanent, que l’on analyse comme un corps de la nature ; tandis qu’elle n’est que la résultante toujours variable des faits multiples et complexes de la vie. L’âme est le devenir individuel, comme Dieu est le devenir universel. Il est certain que, s’il y avait un être constant qu’on pût appeler âme, comme il y a des êtres qu’on appelle spath d’Islande, quartz, mica, il y aurait une science nommée psychologie,