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mille y disparait comme affection en devenant institution (82). Une étude attentive des diverses zones affectives de l’espèce humaine révélerait partout non pas l’identité des éléments, mais la composition analogue, le même plan, la même disposition des parties, en proportions diverses. Tel élément, principal dans telle race, n’apparait dans telle autre que rudimentaire. Le mythologisme, si dominant dans l’Inde, se montre à peine en Chine, et pourtant y est reconnaissable sur une échelle infiniment réduite. La philosophie, élément dominant des races indo-germaniques, semble complètement étrangère aux Sémites, et pourtant, en y regardant de près, on découvre aussi chez ces derniers non la chose même, mais le germe rudimentaire.

Au début de la carrière scientifique, on est porté à se figurer les lois du monde psychologique et physique comme des formules d’une rigueur absolue mais le progrès de l’esprit scientifique ne tarde pas à modifier ce premier concept. L’individualisme apparaît partout ; le genre et l’espèce se fondent presque sous l’analyse du naturaliste ; chaque fait se montre comme sui generis ; le plus simple phénomène apparaît comme irréductible ; l’ordre des choses réelles n’est plus qu’un vaste balancement de tendances produisant par leurs combinaisons infiniment variées des apparitions sans cesse diverses. La raison est la seule loi du monde ; il est aussi impossible de réduire en formules les lois des choses que de réduire à un nombre déterminé de schemes les tours de l’orateur, que d’énumérer les préceptes sur lesquels l’homme moral dirige sa conduite vers le bien. « Sois beau (83), et alors fais à chaque instant ce que t’inspirera ton cœur, » voilà toute la morale. Toutes les autres règles sont fautives et