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tout fait ; dès lors sa force productive, dénuée d’objet, s’atrophie comme toute puissance non exercée. L’enfant la possède encore avant de parler ; mais il la perd, sitôt que la science du dehors vient rendre inutile la création intérieure.

Est-ce donc dresser la science de l’homme que de ne l’étudier, comme l’a fait la psychologie écossaise que dans son âge de réflexion, alors que son originalité native est comme effacée par la culture artificielle, et que des mobiles factices ont pris la place des puissants instincts sous l’empire desquels il se développait jadis avec tant d’énergie ?

La seconde lacune que je trouve dans la psychologie, et qu’elle ne pourra de même combler que par l’étude philologique des œuvres de l’esprit humain, c’est de ne s’appliquer qu’à l’individu, et de ne jamais s’élever à la considération de l’humanité. S’il est un résultat acquis par l’immense développement historique de la fin du xviiie siècle et du xixe, c’est qu’il y a une vie de l’humanité, comme il y a une vie de l’individu ; que l’histoire n’est pas une vaine série de faits isolés, mais une tendance spontanée vers un but idéal ; que le parfait est le centre de gravitation de l’humanité comme de tout ce qui vit (78). Le titre de Hegel à l’immortalité sera d’avoir le premier exprimé avec une parfaite netteté cette force vitale et en un sens personnelle, que ni Vico, ni Montesquieu n’avaient aperçue, que Herder lui-même n’avait que vaguement imaginée. Par là, il s’est assuré le litre de fondateur définitif de la philosophie de l’histoire. L’histoire ne sera plus, désormais, ce qu’elle était pour Bossuet, le déroutement d’un plan particulier conçu et réalisé par une force supérieure à l’homme, menant l’homme qui ne fait que s’agiter sous elle ; elle ne sera plus ce qu’elle