Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop rapprochée de nous, et le berceau de l’humanité reste toujours dans le mystère. Comment l’homme aurait-il légué le souvenir d’un âge où il se possédait à peine lui-même, et où, n’ayant pas de passé, il ne pouvait songer à l’avenir ? Mais il est un monument sur lequel sont écrites toutes les phases diverses de cette Genèse merveilleuse, qui par ses mille aspects représente chacun des états qu’a tour à tour esquissés l’humanité, monument qui n’est pas d’un seul âge, mais dont chaque partie, lors même qu’on peut lui assigner une date, renferme des matériaux de tous les siècles antérieurs et peut les rendre à l’analyse ; poème admirable qui est né et s’est développé avec l’homme, qui l’a accompagné à chaque pas et a reçu l’empreinte de chacune de ses manières de vivre et de sentir. Ce monument, ce poème, c’est le langage. L’étude approfondie de ses mécanismes et de son histoire sera toujours le moyen le plus efficace de la psychologie primitive. En effet, le problème de ses origines est identique à celui des origines de l’esprit humain, et, grâce à lui, nous sommes vis-à-vis des âges primitifs comme l’artiste qui devrait rétablir une statue antique d’après le moule où se dessinèrent ses formes. Sans doute les langues primitives ont disparu pour la science avec l’état qu’elles représentaient, et personne n’est désormais tenté de se fatiguer à leur poursuite avec l’ancienne linguistique. Mais que, parmi les idiomes dont la connaissance nous est possible, il y en ait qui plus que d’autres aient conservé la trace des procédés qui présidèrent à la naissance et au développement du langage, et sur lesquels ait passé un travail moins compliqué de décomposition et de recomposition, ce n’est point là une hypothèse, c’est un fait résultant des notions les plus simples