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philosophie qui croit pouvoir tout tirer de son propre sein, c’est-à-dire de l’étude de l’âme et de considérations purement abstraites, doit nécessairement mépriser l’érudition, et la regarder comme préjudiciable aux progrès de la raison. La mauvaise humeur de Descartes, de Malebranche et en général des cartésiens contre l’érudition, est à ce point de vue légitime et raisonnable. Il était d’ailleurs difficile au xviie siècle de deviner la haute critique et le grand esprit de la science. Leibnitz le premier a réalisé dans une belle harmonie cette haute conception d’une philosophie critique, que Bayle n’avait pu atteindre par trop de relâchement d’esprit. Le xixe siècle est appelé à la réaliser et à introduire le positif dans toutes les branches de la connaissance. La gloire de M. Cousin sera d’avoir proclamé la critique comme une méthode nouvelle en philosophie, méthode qui peut mener à des résultats tout aussi dogmatiques que la spéculation abstraite. L’éclectisme ne s’est affaibli que le jour où des nécessités extérieures, auxquelles il n’a pas pu résister, l’ont forcé a embrasser exclusivement certaines doctrines particulières, qui l’ont rendu presque aussi étroit qu’elles mêmes, et à se couvrir de quelques noms, qu’on doit honorer autrement que par le fanatisme. Tel n’était pas le grand éclectisme des cours de 1828 et 1829, et de la préface à Tennemann. La nouvelle génération philosophique comprendra la nécessité de se transporter dans le centre vivant des choses, de ne plus faire de la philosophie un recueil de spéculations sans unité, de lui rendre enfin son antique et large acception, son éternelle mission de donner à l’homme les vérités vitales.

La philosophie, en effet, n’est pas une science à part ; c’est un côté de toutes les sciences. Il faut distinguer dans