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les sciences morales à des conséquences absolument fausses en partant de principes suffisamment vrais. Les livres faits pour défendre la propriété par le raisonnement sont aussi mauvais que ceux qui l’attaquent par la même méthode. Le vrai, c’est que le raisonnement ne doit pas être écouté en cet ordre de choses, c’est que les résultats du raisonnement ne sont ici légitimes qu’à la condition d’être contrôlés à chaque pas par l’expérience immédiate. Et toutes les fois qu’on se voit mené par la logique à des conséquences extrêmes, il ne faut pas s’en effrayer ; car les faits aperçus finement sont ici le seul criterium de vérité.


IX


Que signifient donc ces vains et superficiels mépris ? Pourquoi le philologue, manipulant les choses de l’humanité, pour en tirer la science de l’humanité, est-il moins compris que le chimiste et le physicien, manipulant la nature, pour arriver à la théorie de la nature ? Assurément c’est une bien vaine existence que celle de l’érudit curieux qui a passé sa vie à s’amuser doctement et à traiter frivolement des choses sérieuses. Les gens du monde ont quelque raison de ne voir en ce rôle qu’un tour de force de mémoire, bon pour ceux qui n’ont reçu en partage que des qualités secondaires. Mais leur vue est courte et bornée, en ce qu’ils ne s’aperçoivent pas que la polymathie est la condition de la haute intelligence esthétique, morale, religieuse, poétique. Une