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n’est ni poétique ni religieuse ; elle est trop exclusivement abstraite et logique. M. Proudhon n’est pas encore assez dégagé de la scolastique du séminaire ; il raisonne beaucoup ; il ne semble pas avoir compris suffisamment que, dans les sciences de l’humanité, l’argumentation logique n’est rien, et que la finesse d’esprit est tout. L’argumentation n’est possible que dans une science comme la géométrie, où les principes sont simples et absolument vrais, sans aucune restriction. Mais il n’en est pas ainsi dans les sciences morales, où les principes ne sont que des à-peu-près, des expressions imparfaites, posant plus ou moins, mais jamais à plein sur la vérité. Le jour donné à la pensée est ici la seule démonstration possible. La forme, le style sont les trois quarts de la pensée, et cela n’est pas un abus, comme le prétendent quelques puritains. Ceux qui déclament contre le style et la beauté de la forme dans les sciences philosophiques et morales méconnaissent la vraie nature des résultats de ces sciences et la délicatesse de leurs principes. En géométrie, en algèbre, on peut sans crainte s’abandonner au jeu des formules, sans s’inquiéter, dans le courant du raisonnement, des réalités qu’elles représentent. Dans les sciences morales, au contraire, il n’est jamais permis de se confier ainsi aux formules, de les combiner indéfiniment, comme faisait la vieille théologie, en étant sûr que le résultat qui en sortira sera rigoureusement vrai. Il ne sera que logiquement vrai, et pourra même n’être pas aussi vrai que les principes car il se peut que la conséquence porte uniquement sur la part d’erreur ou de malentendu qui était dans les principes, mais suffisamment cachée pour que le principe fût acceptable. Il se peut donc qu’en raisonnant très logiquement, on arrive dans