Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marche des sociétés humaines, leurs embranchements, leurs caprices apparents, au lieu de calculer la résultante définitive de cette immense oscillation, aspire du premier coup à une simplicité que les lois de l’humanité présentent bien moins encore que les lois du monde physique. M. Comte fait exactement comme les naturalistes hypothétiques qui réduisent de force à la ligne droite les nombreux embranchements du règne animal. L’histoire de l’humanité est tracée pour lui, quand il a essayé de prouver que l’esprit humain marche de la théologie à la métaphysique et de la métaphysique à la science positive. La morale, la poésie, les religions, les mythologies, tout cela n’a aucune place, tout cela est pure fantaisie sans valeur. Si la nature humaine était telle que la conçoit M. Comte, toutes les belles âmes convoleraient au suicide ; il ne vaudrait pas la peine de perdre son temps à faire aller une aussi insignifiante manivelle. M. Comte croit bien comme nous qu’un jour la science donnera un symbole à l’humanité mais la science qu’il a en vue est celle des Galilée, des Descartes, des Newton, restant telle qu’elle est. L’Évangile, la poésie n’auraient plus ce jour-la rien à faire. M. Comte croit que l’homme se nourrit exclusivement de science, que dis-je ? de petits bouts de phrase comme les théorèmes de géométrie, de formules arides. Le malheur de M. Auguste Comte est d’avoir un système, et de ne pas se poser assez largement dans le plein milieu de l’esprit humain, ouvert à toutes les aires de vents. Pour faire l’histoire de l’esprit humain il faut être fort lettré. Les lois étant ici d’une nature très délicate, et ne se présentant point de face comme dans les sciences physiques, la faculté essentielle est celle du critique littéraire, la délicatesse du tour (c’est le tour d’ordinaire qui exprime