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sance ne l’emportaient ni en pénétration ni en zèle sur un Alcuin, un Alain de Lille, un Alexandre de Halès, un Roger Bacon. Mais ils étaient plus critiques ; ils jouissaient du bénéfice du temps et des connaissances acquises ; ils profitaient des heureuses circonstances amenées par les événements. C’est le sort de la philologie comme de toutes les sciences d’être inévitablement enchaînée à la marche des choses, et de ne pouvoir avancer d’un jour par des efforts voulus le progrès qui doit s’accomplir.

L’άϰρισία est donc le caractère général de la connaissance de l’antiquité au moyen âge, ou, pour mieux dire, de tout l’état intellectuel de cette époque. La politique y participait comme la littérature. Ces fictions de rois, de patrices, d’empereurs, de Césars, d’Augustes, transportées en pleine barbarie, ces légendes de Brut, de Francus, cette opinion que toute autorité doit remonter à l’Empire romain, comme toute haute noblesse à Troie, cette manière d’envisager le droit romain comme le droit absolu, le savoir grec comme le savoir absolu, d’où venaient-ils, si ce n’est du grossier à-peu-près auquel on était réduit sur l’antiquité, du jour demi fantastique sous lequel on voyait ce vieux monde, auquel on aspirait à se rattacher ? L’esprit moderne, c’est-à-dire le rationalisme, la critique, le libéralisme, a été fondé le même jour que la philologie. Les fondateurs de l’esprit moderne sont des philologues.

La philologie constitue aussi une des supériorités que les modernes peuvent à bon droit revendiquer sur les anciens. L’antiquité n’offre aucun beau type de philologue philosophe, dans le genre de Humboldt, Lessing, Fauriel. Si quelques Alexandrins, comme Porphyre et Longin, réunissent la philologie et la philosophie, ces