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breux documents sur le platonisme, et possédait dans les œuvres de Cicéron, de Sénéque, de Macrobe, de Chalcidius et dans les commentaires sur Aristote presque autant de renseignements sur la philosophie ancienne que nous en possédons nous-mêmes. Que manqua-t-il donc à ces laborieux travailleurs qui consacrèrent tant de veilles à la grande étude ? Il leur manqua ce qu’eut la Renaissance, la philologie. Si au lieu de consumer leur vie sur de barbares traductions et des travaux de seconde main, les commentateurs scolastiques eussent appris le grec et lu dans leur texte Aristote, Platon, Alexandre d’Aphrodise, le xve siècle n’eût pas vu le combat de deux Aristote, l’un resté solitaire et oublié dans ses pages originales, l’autre créé artificiellement par des déviations successives et insensibles du texte primitif. Les textes originaux d’une littérature en sont le tableau véritable et complet. Les traductions et les travaux de seconde main en sont des copies affaiblies, et laissent toujours subsister de nombreuses lacunes que l’imagination se charge de remplir. À mesure que les copies s’éloignent et se reproduisent en des copies plus imparfaites encore, les lacunes s’augmentent, les conjectures se multiplient, la vraie couleur des choses disparaît. La traduction classique au xive siècle ressemblait à l’antiquité, comme l’Aristote et le Galien des facultés, pour lesquels on renvoyait les élèves et les professeurs aux cahiers traditionnels, ressemblaient au véritable Aristote, au véritable Galien, comme la culture grecque ressemble aux bribes insignifiantes recueillies d’après d’autres compilateurs par Martien Capella ou Isidore de Séville. Ce qui manque au moyen âge, ce n’est ni la production originale, ni la curiosité du passé, ni la persévérance du travail. Les érudits de la Renais-