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C’est donc dans la philosophie qu’il faut chercher la véritable valeur de la philologie. Chaque branche de la connaissance humaine a ses résultats spéciaux qu’elle apporte en tribut à la science générale des choses et à la critique universelle, l’un des premiers besoins de l’homme pensant. Là est la dignité de toute recherche particulière et des derniers détails d’érudition, qui n’ont point de sens pour les esprits superficiels et légers. À ce point de vue, il n’y a pas de recherche inutile ou frivole. Il n’est pas d’étude, quelque mince que paraisse son objet, qui n’apporte son trait de lumière à la science du tout, à la vraie philosophie des réalités. Les résultats généraux qui seuls, il faut l’avouer, ont de la valeur en eux-mêmes, et sont la fin de la science, ne sont possibles que par le moyen de la connaissance, et de la connaissance érudite des détails. Bien plus, les résultats généraux qui ne s’appuient pas sur la connaissance des derniers détails sont nécessairement creux et factices, au lieu que les recherches particulières, même destituées de l’esprit philosophique, peuvent être du plus grand prix, quand elles sont exactes et conduites suivant une sévère méthode. L’esprit de la science est cette communauté intellectuelle qui rattache l’un à l’autre l’érudit et le penseur, fait à chacun d’eux sa gloire méritée, et confond dans une même fin leurs rôles divers.

L’union de la philologie et de la philosophie, de l’érudition et de la pensée, devrait donc être le caractère du travail intellectuel de notre époque. C’est la philologie ou l’érudition qui fournira au penseur cette forêt de choses (silva rerum ac sententiarum, comme dit Cicéron), sans laquelle la philosophie ne sera jamais qu’une toile de Pénélope, qu’on devra recommencer sans cesse. Il faut