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peines que rencontre celui qui consacre sa vie à la science pure.

Ainsi, par un étrange renversement, la science n’est chez nous que pour l’école, tandis que l’école ne devrait être que pour la science. Sans doute, si l’école était dans les temps modernes ce qu’elle était dans l’antiquité, une réunion d’hommes poussés par le seul désir de connaître et réunis par une méthode commune de philosopher, on permettrait à la science de s’y renfermer. Mais l’école ayant en général chez nous un but pédagogique ou pratique, réduire la science à ces étroites proportions, supposer par exemple que la philologie ne vaut quelque chose que parce qu’elle sert à l’enseignement classique, c’est la plus grande humiliation qui se puisse concevoir et le plus absurde contre-bon sens. Le département de la science et des recherches sérieuses devient ainsi celui de l’instruction publique ; comme si ces choses n’avaient de valeur qu’en tant qu’elles servent à l’enseignement. De là l’idée que, l’éducation finie, on n’a point à s’en occuper et qu’elles ne peuvent regarder que les professeurs. En effet, il serait, je crois, difficile de trouver chez nous un philologue qui n’appartienne de quelque manière à l’enseignement, et un livre philologique qui ne se rapporte à l’usage des classes ou à tout autre but universitaire. Étrange cercle vicieux ; car si ces choses ne sont bonnes qu’à être professées, si ceux-là seuls les étudient qui doivent les enseigner, à quoi bon les enseigner ?

À Dieu ne plaise que nous cherchions à rabaisser ces nobles et utiles fonctions qui préparent des esprits sérieux à toutes les carrières ; mais il convient, ce semble, de distinguer profondément la science de l’instruction, et de donner à la première, en dehors de la seconde, un but