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chargé de les amuser, et le savant n’ayant pas ce privilège, est par là même déclaré inutile et ennuyeux. On se figure volontiers que c’est parce qu’il ne peut produire, qu’il recherche, édite et commente les œuvres des autres. Il est d’ailleurs si facile de tourner en ridicule ses patientes investigations. Il faudrait avoir l’imagination bien malheureuse pour ne pas trouver quelque fade plaisanterie contre un homme qui passe sa vie à déchiffrer de vieux marbres, à deviner des alphabets inconnus, à interpréter et commenter des textes qui, aux yeux de l’ignorance, ne sont que ridicules et absurdes. Ces plaisanteries ont ce faux air de bon sens si puissant en France, et qui y règle trop souvent l’opinion publique. Un journaliste, un industriel sont des hommes sérieux. Mais le savant ne vaut quelque chose s’il n’est professeur. La science ne doit pas sortir du collège ou de l’école spéciale ; le public n’a rien à faire avec elle. Que le professeur s’en occupe, à la bonne heure, c’est son métier. Mais tout autre qui y consacre sa vie se mêle de ce qui ne le regarde pas, à peu près comme un homme qui apprendrait les procédés d’un métier, sans vouloir jamais l’exercer. De là le discrédit où est tombée toute branche d’études qui ne sert pas directement à l’instruction classique et pédagogique, dont on accepte de confiance la nécessité, sans trop en savoir la raison. Les meilleurs juges reconnaissent que de toutes les branches des études philologiques, l’Orient, l’Inde surtout, peuvent offrir pour l’histoire de l’esprit humain les plus précieuses données. Pourquoi donc cette Californie est-elle si peu exploitée ? Hélas ! disons le mot dans sa dureté prosaïque, c’est qu’il n’y a pas de débouché.

D’où peut venir cette ignoble méprise ? Reconnaissons d’abord que l’enthousiasme de la science est beaucoup