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vivant bien à son aise dans ce qu’on appelle le monde profane, voilà la forme des croyances qui seules désormais entraîneront l’humanité. Les temples de cette doctrine ce sont les écoles, non pas comme aujourd’hui enfantines, étriquées, scolastiques, mais comme dans l’antiquité de lieux de loisir scholæ où les hommes se réunissent pour prendre ensemble l’aliment suprasensible. Les prêtres ce sont les philosophes, les savants, les artistes, les poètes, c’est-à-dire les hommes qui ont pris l’idéal pour la part de leur héritage et ont renoncé à la portion terrestre (45). Ainsi reviendra le sacerdoce poétique des premiers civilisateurs. D’excellents esprits regrettent souvent que la philosophie n’ait pas ses églises et ses chaires. Rien de mieux, pourvu qu’il soit bien entendu qu’on n’y enseignera pas autre chose qu’à la Sorbonne ou au Collège de France, que ce seront en un mot des écoles dépouillées de leur vernis pédagogique. L’école est la vraie concurrence du temple. Si vous élevez autel contre autel, on vous dira : « Nous aimons mieux les anciens ; ce n’est pas que nous y croyions davantage, mais enfin nos pères ont ainsi adoré. » On nous chargerait de l’éducation religieuse du peuple, que nous devrions commencer par son éducation dite profane, lui apprendre l’histoire, les sciences, les langues. Car la vraie religion n’est que la splendeur de la culture intellectuelle, et elle ne sera accessible à tous que quand l’éducation sera accessible à tous. C’est notre gloire à nous d’en appeler toujours à la lumière ; c’est notre gloire qu’on ne puisse nous comprendre sans une haute culture, et que notre force soit en raison directe de la civilisation. Le xviiie siècle demeure ici notre éternel modèle, le xviiie siècle qui a changé le monde et inspiré d’énergiques convictions, sans se faire secte ou religion, en restant bien