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mettre d’accord avec elle. Il faut bien se figurer que ce qui est surpasse infiniment en beauté tout ce qu’on peut concevoir ; que l’utopiste qui se met à créer de fantaisie le meilleur monde n’imagine qu’enfantillage auprès de la réalité, que, quand la science positive semble ne révéler que petitesse et fini, c’est qu’elle n’est pas arrivée à son résultat définitif. Fourier, répandant à pleines mains les ceintures, les couronnes et les aurores boréales sur les mondes, est plus près du vrai que le physicien qui croit son petit univers égal à celui de Dieu, et pourtant un jour Fourier sera dépassé par les réalistes qui connaîtront de science certaine la vérité des choses.

Qu’on me permette un exemple. La vieille manière d’envisager l’immortalité est à mes yeux un reste des conceptions du monde primitif et me semble aussi étroite et aussi inacceptable que le Dieu anthropomorphique. L’homme, en effet, n’est pas pour moi un composé de deux substances, c’est une unité, une individualité résultante, un grand phénomène persistant, une pensée prolongée. D’un autre côté, niez l’immortalité d’une façon absolue, et aussitôt le monde devient pâle et triste. Or, il est indubitable que le monde est beau au delà de toute expression. Il faut donc admettre que tout ce qui aura été sacrifié pour le progrès se retrouvera au bout de l’infini, par une façon d’immortalité que la science morale découvrira un jour (42), et qui sera à l’immortalité fantastique du passé ce que le palais de Versailles est au château de cartes d’un enfant. On en peut dire autant de tous les dogmes de notre religion naturelle et de notre morale, si pâle, si étroite, si peu poétique, que je craindrais d’offenser Dieu en y croyant. Les vieux dogmes peuvent être comparés à ces hypothèses des sciences physiques qui