Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pomorphique du monde disparut devant la science positive, on put dire un instant : Adieu la poésie, adieu le beau ! et voilà que le beau a revécu plus illustre. De même, loin que le monde moral ait reçu un coup mortel de la destruction des vieilles chimères, la méthode la plus réaliste est celle qui nous mènera aux plus éblouissantes merveilles, et jusqu’à ce que nous ayons découvert d’ineffables splendeurs, d’enivrantes vérités, de délicieuses et consolantes croyances, nous pouvons être assurés que nous ne sommes pas dans le vrai, que nous traversons une de ces époques fatales de transition, où l’humanité cesse de croire à de chimériques beautés pour arriver à découvrir les merveilles de la réalité. Il ne faut jamais s’effrayer de la marche de la science, puisqu’il est sûr qu’elle ne mènera qu’à découvrir d’incomparables beautés. Laissons les âmes vulgaires crier avec Mika, ayant perdu ses idoles : « J’ai perdu mes dieux ! J’ai perdu mes dieux ! » Laissons-les dire avec Sérapion, l’anthropomorphiste converti du Mont-Athos : « Hélas ! on m’a enlevé mon dieu, et je ne sais plus ce que j’adore ! » Pour nous, quand le temple s’écroule, au lieu de pleurer sur ses ruines, songeons aux temples qui, plus vastes et plus magnifiques, s’élèveront dans l’avenir, jusqu’au jour où, l’idée enfonçant à tout jamais ces étroites murailles, n’aura plus qu’un seul temple, dont le toit sera le ciel !

La science doit donc poursuivre son chemin, sans regarder qui elle heurte. C’est aux autres à se garer. Si elle paraît soulever des objections contre les dogmes reçus, ce n’est pas à la science, c’est aux dogmes reçus à se mettre en garde et à répondre aux objections. La science doit se comporter comme si le monde était libre d’opinions préconçues, et ne pas s’inquiéter des difficultés qu’elle soulève. Que les théologiens s’arrangent entre eux pour se