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de certain, pourrait se réduire à quelques pages ; si l’on ajoutait foi aux histoires hébraïques, arabes, persanes. grecques, etc., on aurait une bibliothèque. Les gens chez lesquels l’appétit de croire est très développé peuvent se donner le plaisir d’avaler tout cela. L’esprit critique est l’homme sobre, ou, si l’on veut, délicat ; il s’assure avant tout de la qualité. Il aime mieux s’abstenir que de tout accepter indistinctement ; il préfère la vérité à lui-même ; il y sacrifie ses plus beaux rêves. Croyez-vous donc qu’il ne nous serait pas plus doux de chanter au temple avec les femmes ou de rêver avec les enfants que de chasser sur ces âpres montagnes une vérité qui fuit toujours. Ne nous reprochez donc pas de savoir peu de choses ; car vous, vous ne savez rien. Le peu de choses que nous savons est au moins parfaitement acquis et ira toujours grossissant. Nous en avons pour garant la plus invincible des inductions, tirée de l’exemple des sciences de la nature.

Si, comme Burke l’a soutenu, « notre ignorance des choses de la nature était la cause principale de l’admiration qu’elles nous inspirent, si cette ignorance devenait pour nous la source du sentiment du sublime, » on pourrait se demander si les sciences modernes, en déchirant le voile qui nous dérobait les forces et les agents des phénomènes physiques, en nous montrant partout une régularité assujettie à des lois mathématiques, et par conséquent sans mystère, ont avancé la contemplation de l’univers, et servi l’esthétique, en même temps qu’elles ont servi la connaissance de la vérité. Sans doute les impatientes investigations de l’observateur, les chiffres qu’accumule l’astronome, les longues énumérations du naturaliste ne sont guère propres à réveiller le sentiment du beau : le beau n’est pas dans l’analyse ; mais le beau