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morbide et exclusif est plus original, et fait mieux ressortir l’énergie de la nature, comme une veine injectée qui saille plus nette aux yeux de l’anatomiste. Allez voir au Louvre ce merveilleux musée espagnol : c’est l’extase, le surhumain, saints qui ne touchent pas la terre, yeux caves et aspirant le ciel ; vierges au cou allongé, aux yeux hagards ou fixes ; martyrs s’arrachant le cœur ou se déchirant les entrailles, moines se torturant, etc. Eh bien, j’aime ces folies, j’aime ces moines de Ribeira et de Zurbaran, sans lesquels on ne comprendrait pas l’Inquisition. C’est la force morale de l’homme exagérée, dévoyée, mais originale et hardie dans ses excès. L’apôtre n’est certainement pas le type pur de l’humanité, et pourtant dans quelle plus puissante manifestation le psychologue peut-il étudier l’énergie intime de la nature humaine et de ses élans divins?

Il faut faire à toute chose sa part. Il y a une incontestable vérité dans quelques-uns des reproches que les ennemis de l’esprit moderne adressent à notre civilisation bourgeoise. Le moyen âge, qui assurément entendait moins bien que nous la vie réelle, comprenait mieux à quelques égards la vie suprasensible. L’erreur de l’école néoféodale est de ne pas s’apercevoir que les défauts de la société moderne sont nécessaires à titre de transition, que ces défauts viennent d’une tendance parfaitement légitime, s’exerçant sous une forme partielle et exclusive. Et cette forme partielle est elle-même nécessaire ; car c’est une loi de l’humanité qu’elle parcoure ses phases les unes après les autres et en abstrayant provisoirement tout le reste ; d’où l’apparence incomplète de tous ses développements successifs.

Si quelque chose pouvait inspirer des doutes au pen-