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nisme reléguait par delà. Il n’y a rien d’exagéré dans le spiritualisme de l’Évangile ni dans la prépondérance exclusive qu’il accorde à la vie supérieure. Mais c’est ici-bas et non dans un ciel fantastique que se réalisera cette vie de l’esprit. Il est donc essentiel que l’homme commence par s’établir en maître dans le monde des corps, afin de pouvoir ensuite être libre pour les conquêtes de l’esprit. Voilà ce qu’il y a d’injuste dans l’anathème jeté par le christianisme sur la vie présente. Toutes les grandes améliorations matérielles et sociales de cette vie se sont faites en dehors du christianisme et même à son préjudice. De là, cette mauvaise humeur que les représentants actuels du catholicisme montrent contre toutes les réformes les plus rationnelles des abus du passé, réforme de la justice, réforme de la pénalité, etc. Ils sentent bien que tout cela se tient, et qu’un pas fait dans cette voie entraîne tous les autres. L’avenir n’approuvera pas sans doute entièrement nos tendances matérialistes. Il jugera notre œuvre comme nous jugeons celle du christianisme, et la trouvera également partielle. Mais enfin il reconnaîtra que sans le savoir nous avons posé la condition des progrès futurs, et que notre industrialisme a été, quant à ses résultats, une œuvre méritoire et sainte.

On reproche souvent à certaines doctrines sociales de ne se préoccuper que des intérêts matériels, de supposer qu’il n’y a pour l’homme qu’une espèce de travail et qu’une espèce de nourriture et de concevoir pour tout idéal une vie commode. Cela est malheureusement vrai ; il faut toutefois observer que, si ces systèmes devaient avoir réellement pour effet d’améliorer la position matérielle d’une portion notable de l’humanité, ce ne serait pas là un véritable reproche. Car l’amélioration de la