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comme nous jugeons le passé. La race des égoïstes qui n’ont le sens ni de l’art, ni de la science, ni de la morale, est de tous les temps. Mais ceux-là meurent tout entiers ; ils n’ont pas leur place dans cette grande tapisserie historique que l’humanité tisse et laisse se défiler derrière elle : ce sont les flots bruyants qui murmurent sous les roues du pyroscaphe dans sa course, mais se taisent derrière lui.

Que ceux donc qui redoutent de voir les soins de l’esprit étouffes par les préoccupations matérielles se rassurent. La culture intellectuelle, la recherche spéculative, la science et la philosophie en un mot, ont la meilleure de toutes les garanties, je veux dire le besoin de la nature humaine. L’homme ne vivra jamais seulement de pain ; poursuivre d’une manière désintéressée la vérité, la beauté et le bien, réaliser la science, l’art et la morale, est pour lui un besoin aussi impérieux que de satisfaire sa faim et sa soif. D’ailleurs l’activité qui, en apparence, ne se propose pour but qu’une amélioration matérielle a presque toujours une valeur intellectuelle. Quelle découverte spéculative a eu autant d’influence que celle de la vapeur ? Un chemin de fer fait plus pour le progrès qu’un ouvrage de génie, qui, par des circonstances purement extérieures, peut être privé de son influence.

On ne peut nier que le christianisme, en présentant la vie actuelle comme indifférente et détournant par conséquent les hommes de songer à l’améliorer, n’ait fait un tort réel à l’humanité. Car bien que « ce soit l’esprit qui vivifie, et que la chair ne serve de rien », le grand règne de l’esprit ne commencera que quand le monde matériel sera parfaitement soumis à l’homme. D’ailleurs la vie actuelle est le théâtre de cette vie parfaite que le christia-