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la petite, vous êtes des accidents et Dimitri Ossipovitch ne saurait borner sa destinée.

Mme  Blok essayait bien de lui faire entendre raison.

Des accidents Dimitri ! Tu ne te rends pas compte.

Mais lui, toujours à son obsession : « Les bateliers de la Volga ont des mains qui saignent, les cordages s’impriment par la douleur dans leurs doigts. La faim a sculpté leurs visages. Ils ont froid, ils ont chaud, mais qu’importe. Leurs chansons répétées comme le ciel, plus tristes que le fleuve, sont aussi douces à leurs cœurs que l’air natal aux poumons de l’homme ! Quand reverrai-je mon pays, quand pourrai-je à nouveau entendre les bateliers de la Volga, Herminie…

— Si tu aimes le chant, nous irons demain à l’Opéra-Comique. On donne Le Roi d’Ys.

— Il ne s’agit pas du Roi d’Ys, pauvre femme, il ne s’agit même pas de chanson, mais de ce souffle qui traverse nos steppes, suit nos fleuves, et se retrouve n’importe où en Europe, dès que les proscrits ou les évadés de Sibérie se rappellent leur pays, la sainte Russie.

— La sainte Russie… Je comprends Dimitri, mais, ici, en France, tu as ta femme, la petite Diane qui grandit, se mariera un jour, aura des enfants.

— Qu’importe. Les bateliers de la Volga, Herminie, et leur triste sort, dont la monotonie finit par devenir un bonheur…

Et après un rêve silencieux de quelques minutes, à