Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/177

Cette page n’a pas encore été corrigée


Mais ce soir, parvenu enfin au palier de Bruggle, à quelques secondes, à quelques mètres de l’être aimé, il ne veut pas qu’un vulgaire piano mécanique le condamne à l’inquiétude. Il ne se rappelle plus rien de son animosité chronique contre sa mère, il a oublié combien auprès de Diane il a pu s’ennuyer. S’il s’est fâché avec sa mère, s’il a fui Diane, il veut croire que c’est pour une créature qui méritait bien que toutes les autres lui fussent sacrifiées. Son amour, comme une vitre teintée, par transparence a changé la couleur de toute sa vie, de ses plus grandes pensées aux détails les plus menus. Or pour que cet amour ne soit pas un triste mica, il doit se persuader que, logiquement, un peu plus il dirait mathématiquement, il a droit à sa récompense. Aussi, s’attend-il que, dès le seuil, Bruggle d’un mot, ou d’un geste lui prouve qu’il n’a pas eu tort de le préférer à tous les autres.

La main de Pierre sur la porte, ses doigts frappent, moins qu’ils ne tremblent. Et non de crainte, mais de bonheur.

Dans le studio une dizaine de couples dansent. Le maître de maison fait des cocktails, la comtesse roumano-scandinave essaie de sautiller une java pâmée entre les bras d’un petit voyou. Une Américaine explique très fort, que son appartement n’a que deux chambres, mais que, aux murs de l’une d’elles, sont piquées toutes ses boucles d’oreilles. Elle prend Pierre à témoin,