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produire beaucoup d’exemples de ces cruautés imaginaires, puisqu’on n’a principalement commencé à accuser les Juifs de ces sortes de crimes que lorsque les Chrétiens songèrent à la conquête de la Terre Sainte. Avant ce temps-là on les chargeait plutôt d’impiété contre les images que contre les hommes, parce que c’était la dispute d’alors. Au commencement du XIe siècle on accusa les Juifs de France, et particulièrement ceux d’Orléans, d’avoir donné des avis secrets au prince de Babylone, à qui ils avaient fait savoir que s’il ne détruisait au plus tôt l’église des Chrétiens qui était à Jérusalem, ils se rendraient en peu de temps les maîtres de ses États.

Ce prince ayant fait démolir leur église, on commença pour lors à exercer d’étranges cruautés contre les Juifs, et toutes les accusations qu’on fit dans la suite contre eux furent très bien reçues. Baronius rapporte, après Otton de Frising, qu’un certain moine, nommé Radulphe, homme de bien en apparence, et plus zélé que savant, tâcha d’attirer à lui les peuples de Cologne, de Mayence, de Spire et de Strasbourg, pour se croiser contre les Juifs. Il enseignait publiquement qu’il les fallait tous mettre à mort, comme ennemis de la religion chrétienne, ce qui réussit si bien dans plusieurs villes de France et d’Allemagne, où l’on vit le sang innocent des Juifs répandu par ces séditieux, qu’il furent obligés de se mettre sous la protection du Roi des Romains, et de chercher leur sûreté dans Nuremberg. Nous avons encore aujourd’hui une lettre de saint Bernard, sur ce sujet, adressée à Henry, archevêque de Mayence, dans laquelle il réfute cette pernicieuse hérésie du moine Radulphe, qu’il appelle homicide et père du mensonge (homicida et pater mendacii). Il traite la doctrine de ce moine de ruse infernale qui détruit toute la religion