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essai d’introduction a une étude lexicologique de michelet

est un homme simple et un écrivain pressé. Une fois pris dans l’engrenage des faits et le tourbillon des événements, il ne saurait s’embarrasser de longueurs. Son récit reste une ligne droite.

Mais la langue ne se prête pas toujours aussi complaisamment au caprice de l’écrivain, et il eût souhaité peut-être qu’elle lui laissât plus de latitude[1]. De tels mots, commodes, n’existent pas toujours ; quelque fût la richesse de notre lexique sous ce rapport, il paraît avoir été, au gré de l’historien, trop pauvre encore. Il sentait bien qu’en linguistique brièveté égale puissance, et qu’une caractérisation n’a de vigueur qu’autant qu’elle est ramassée. Sa répugnance pour l’es longues formules l’amèneront parfois à inventer le mot dont il a besoin, plutôt que de recourir à une définition ou une périphrase qui alourdirait et ralentirait. Il dira : un affameur, un boursoufleur, un démembreur, déjésétuiser, déprinciser, etc… Ajoutons d’ailleurs qu’il n’abuse pas de telles créations, qui restent, dans l’ensemble de l’œuvre, des raretés. Ajoutons également que jamais il n’hésitera à utiliser un nom d’agent offert par la langue, quitte à lui donner un sens différent de celui qu’a consacré l’usage, ce qui, en somme, équivaut à une création véritable. Tel est le cas de bombardeur, mot ancien, pour déguiser le fabricant de bombardes, découvreur qui n’a dans l’ancienne langue que le sens d’éclaireur d’une troupe, réchauffeur, souteneur, que Michelet utilise communément pour nommer le général qui bombarde une ville, le voyageur qui découvre un pays, l’être qui réchauffe, ou l’homme puissant qui soutient un parti.

On jugera par les listes ci-dessous de la prédilection de l’écrivain pour ces sortes de caractérisants :

A — noms d’agents

Affameur (R, F., vi, préface, 5 ; vi, 316, note ; vi, 381 ; H. F., xiv, 260 ; xv, 286). — Applaudisseur (H. F., xi, 335). — Assommeur (H. F., iv, 188 ; ix, 386, 393). — Attrapeur (H. F., ix, 504). — Baragouineur (R. F., iii, 482 ; H. F., x, 225). — Bâtisseur (H. F., xiv, 191). — Batteur[2] (de pavés) (I. H. U., 507, 512). — Bom-

  1. C’est ainsi qu’il semble parfois gêné par la répugnance de la langue pour les infinitifs substantivés. Il préférera le « rire et le rien faire » au substantif abstrait, car le verbe est plus vivant.
  2. Je ne retiens que cet exemple. Tous les autres sont du langage technique : batteurs de fer (H. F., vi, 132, 144, 218, 397) ; batteur en cuivre (H. F., vi, 176). L’exemple cité (batteur de pavés) est lui-même associé à des appellations qui sont des plaisanteries professionnelles (meurtrier de cerceaux, gâte-bois…) de la langue des tonneliers.