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préface

reproche à tant d’auteurs modernes : la recherche systématique de l’originalité. La violence de son tempérament, la simplicité atavique de sa vie le garantissaient de toute affectation en matière de langage. S’il est permis de soupçonner que sa nature d’artiste l’a parfois poussé à chercher dans certains procédés rythmiques ou syntaxiques une élégance, il reste à l’abri de toute supposition de ce genre en ce qui concerne le vocabulaire. Une seule chose compte à ses yeux : l’idée et l’émotion (deux éléments qui, chez lui, en arrivent presque toujours à se confondre, comme l’idée et la vision sont inséparables chez Hugo). Au reste, il a vécu à une époque où l’on ne sentait pas aussi impérieusement qu’aujourd’hui le besoin d’originalité dans le langage ; et puis, la recherche exclusive de « l’art » n’appartient-elle pas surtout aux écrivains qui, se méfiant de leur puissance, tachent de masquer sous une fantasmagorie apparente et verbale la stérilité de leur pensée ou la banalité de leur sensation ? De tels écrivains sont esclaves du mot. Michelet n’a été esclave que de ses haines (un peu aussi de ses amours) ; mais il ne reconnaît pas plus la royauté du mot qu’il n’a reconnu les autres. Il use de la langue comme d’un instrument de travail, qu’il manie avec la plus extrême liberté, car il entend que l’artiste doit rester absolument maître de s’en servir comme bon lui semble. D’elle, il exige trois conditions : qu’elle soit commode, vigoureuse, exacte.

1° Qu’elle soit commode. Jamais il n’a répudié une expression, si elle lui semblait d’utilisation aisée et pratique. Qui dit commodité dit rapidité. En principe, Michelet a régulièrement préféré le mot à la locution, la phrase au développement. Concision qui procède moins d’un calcul ingénieux que d’un véritable besoin. L’idée s’impose à lui avec une force suffisante pour ne pas tolérer les circonlocutions et pour exiger une traduction instantanée et complète.

2° Qu’elle soit vigoureuse. Dès l’instant qu’un terme lui semble expressif, il ne voit pas la nécessité d’en chercher un autre. Alors que certains se bornent à exprimer, lui ne se déclare satisfait que s’il atteint au maximum d’expression.

3° Qu’elle soit exacte. Une expression est toujours bonne et acceptable lorsqu’elle reste parfaitement adéquate à l’idée qu’il s’agit de traduire. Michelet se refuse à admettre une autre autorité. Ce qui revient à dire qu’il se soumet d’instinct à la loi de propriété et d’exactitude dans l’expression. En cela, il diffère encore assez sensiblement de Victor Hugo, chez qui le mot, trop souvent, interprète et estompe l’idée