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PRÉFACE

Si varié et riche que soit le vocabulaire de notre langue, Michelet semble s’y être senti à l’étroit et avoir regretté de ne pas toujours y trouver les moyens d’expression qu’il eût ambitionnés.

Il serait, par exemple, instructif à cet égard de dresser un dictionnaire des synonymes de Michelet. J’en ai tenté ailleurs une esquisse très générale ; je n’y reviens donc pas ici, et me borne à indiquer que l’écrivain a merveilleusement utilisé les ressources de notre langue, sous ce rapport si bien partagée. Il a fait plus ; les synonymes existants ne lui suffisant pas (car, bien plus que d’autres, même que Hugo, il a le don de découvrir entre les choses et les êtres des correspondances multiples), il en a imaginé d’inédits. Forçant la langue, il a rapproché des idées entre lesquelles l’usage n’admettait aucune affinité, uni par la communauté de sens des mots qui ne sont ainsi synonymes que chez lui. Et ces rapprochements sont légitimes et exacts, parce que, dans la sensation (sinon dans la réalité), l’assimilation existait vraiment. On assiste à ce spectacle assez curieux d’un écrivain qui refait en quelque sorte la langue à son profit, qui, n’admettant les mots que comme des symboles et des signes, se refuse à les croire consacrés une fois pour toutes et se reconnaît le droit de les interpréter à sa guise. Mais, je le répète, la création ou l’interprétation synonymique n’est qu’un procédé particulier et affaire de style plutôt que de vocabulaire proprement dit. En dehors de toute question stylistique, il y a lieu de se demander quelles préférences, quelles façons de voir ont guidé l’écrivain dans l’utilisation du matériel que la langue mettait à sa disposition.

Peut-on parler, chez Michelet, d’un parti pris d’innovation lexicologique ? Non. Comme toujours chez cet historien, il faut chercher l’instinct avant la préméditation. Je ne crois pas qu’il ait jamais partagé l’ingénue vanité que l’on