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exalté comme s’il était un ange n’accomplira point ses devoirs sociaux. L’opinion n’est écrite nulle part.

La plus grande supériorité de Jésus est de s’être fait aimer sans contestation. Sa légende qui n’a grandi que ses qualités aimées, n’a porté au souvenir de l’humanité que la candeur de son sourire, ou de son doux et constant amour pour ceux qui l’approchaient.



On ne vit que par les usages ; sous les formes admises de la politesse qui ne sont autres que les apparences de l’amitié, de la bonté, on cache un fond misérable. Si tant de soins et de pratiques fausses sont nécessaires à la durée de la société, aux rapports des hommes, il n’est rien de plus hideux que les dehors de l’amitié cachant la haine.



Ce qui distingue l’artiste du dilettante est seulement dans la douleur qu’éprouve celui-là. Le dilettante ne cherche dans l’art que son plaisir.

Il y a de la douleur à réclamer auprès de ceux qu’on aime. L’esprit de justice prime la bonté, et cependant il y a des heures, heures d’amour et de grâce, où pour donner, pour aimer, on serait volontiers injuste. Je n’ai jamais pu lire en moi lequel est le meilleur, celui qui donne ? celui qui justifie ? Il y a là matière à beaucoup réfléchir.

Arriverons-nous jamais à la certitude, à la conscience d’avoir tout fait, tout donné ? On marche continuellement dans un doute mêlé de confiance, et ces dispositions tiennent alternativement le fil de notre vie.

Et le monde, et la plupart de ceux dont nous tenons la main ne voient dans l’exercice d’un art qu’une occupation de délassement et de repos !