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l’Allemagne sera châtiée ou vaincue, je veux dire quand son armée ne sera plus sur le sol de la Belgique abusée, trompée mais glorieuse, et quand elle ne sera plus sur le sol français.

Pour les mêmes raisons, je n’ai pas demandé non plus autour de moi, d’adhérer à l’initiative que vous venez de prendre.


Il faut donner à ceux qu’on admire.

Quelle douceur, quelle noblesse de faire le bien pour l’accomplissement de la beauté !

Il est bien que le don d’une œuvre d’art aboutisse au bienfait de la charité. Mais (pour ne pas mettre de confusion dans nos sentiments) il ne faut pas nous convier à secourir des artistes par idée de fraternité. Certains mots ont une puissance créatrice capable d’égarer la conscience par un mauvais entendement. Quand on réfléchit, on voit que l’idée de fraternité ne peut surgir des artistes en collectivité.

Là où se porte notre envie se découvre notre faiblesse. L’envie est une aiguille aimantée vers le plus fort. Il faut alors être assez riche pour trouver dans les replis de son être la libération inscrite dans ce vers et du chant du Bienheureux : « Il vaut mieux suivre sa propre loi, même imparfaite, que la loi d’autrui, même meilleure. »

Les hommes politiques de la Chambre obéissent dans les ténèbres à l’esprit de leur parti. La guerre leur a fait la lumière. Par la menace de leur anéantissement total, ils ont vu soudain la réalité française, je veux dire la raison la plus générale de leurs mandats, d’où leur union subite pour façonner une loi de défense.

Qu’il serait beau de voir ainsi toutes les lois votées à l’unanimité !

Être d’un parti, c’est se mettre à plusieurs pour contraindre la liberté des autres, et se contraindre soi-même.

Être d’un parti, c’est entrer dans une impasse. Pas d’autre issue que sa propre liberté muette et clôturée.