Page:Reclus - Le Pain.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
le pain

manger de ces viandes était un crime de fornication. Voilà encore pourquoi la liturgie anglaise ne peut trop recommander de ne pas manger à notre damnation le corps du Seigneur, car, en le prenant indignement, nous excitons sa colère, et Dieu se venge en envoyant sur le peuple maladies et pestilence, toutes sortes de mortalité.

C’est ainsi que, dans la religion chrétienne, on mange Dieu pour acquérir ses qualités infinies, partager sa pureté et son incorruptibilité, sa toute-science et sa toute-puissance et, finalement, pour s’approprier son éternelle vie. L’Évangile selon Saint-Jean expose cette doctrine avec une lucidité parfaite : « La chair de Christ est vraie nourriture et son sang véritable breuvage. Qui mange de sa chair et boit de son sang possède l’Éternité. »

Déjà Justin martyr se plaignait que les mystères de Mithras, avec leur communion de pain et de vin, fussent une abominable copie du mystère eucharistique. Il eut pu tout aussi bien déplorer que les Éleusines et les Dionysies fussent une imitation de la Sainte-Cène. Que de fois les missionnaires catholiques ont poussé ce même gémissement ! Les écrivains ecclésiastiques qui ont écrit l’histoire de la Conquista émettent gravement la supposition que le Diable, qui est le singe du bon Dieu, comme on sait, avait importé le sacrement de l’Eucharistie chez les Mayas, Toltacs et Quichua.

La véritable parodie fut la Messe noire du moyen-âge, le sabbat dont l’illustre historien Michelet nous a donné une description saisissante à laquelle nous renvoyons nos lecteurs. Rappelons seulement que sur la sorcière, prêtresse officiante, on jetait des grains de blé à l’esprit de la Terre qui fait pousser les moissons et qu’on cuisait le gateau de communion. L’hostie d’amour était distribuée par la « victime qui demain pouvait elle-même passer par le feu. C’était sa vie, c’était sa mort que l’on mangeait. On y sentait déjà sa chair brûlée. En dernier lieu, on déposait sur elle deux offrandes qui semblaient de chair, deux simulacres : celui du dernier mort de la commune, celui du dernier né. L’assemblée, fictivement, communiait de l’un et de l’autre. Triple hostie, toute humaine. Sous l’ombre vague de