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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

pour la solennité. Parfois les gentlemen ont sautillé avec leurs misses et ladies dans un bal improvisé. — Ce n’est point certes parmi les actionnaires de la Banque d’Angleterre ou de la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest que nous verrions pareille gaieté ! La raison en est simple. Messieurs de la Banque sont assez riches pour donner des soirées chez eux, ils n’ont nul besoin de se mettre à trois cents ou à cinq cents pour se payer quelques pâtisseries et quelques tasses de thé. Les ouvriers, tout au contraire, ont un immense arriéré de plaisirs et de satisfaction à combler, et dès que le succès de leur association les a mis hors de peine et au-dessus de leurs affaires, ils se livrent alors à des explosions d’une joie bien naturelle ; ils ne s’amusent pas dans le but de se désennuyer, à l’instar de leurs supérieurs, mais ils s’amusent parce qu’il sont contents.

Aussi, pour comprendre toute la portée de ces associations ouvrières, il ne faut pas les considérer seulement dans leur but le plus immédiat : magasins d’épiceries, moulins, ateliers de confection, pas même comme des sociétés de prévoyance contre la misère. Elles sont, en réalité, des institutions de sociabilité, des clubs où l’ouvrier peut haranguer ses égaux, discourir en public, et traiter les affaires de la communauté tout comme s’il était membre du Parlement, ou de l’ancien Wittagenot des Saxons. L’ouvrier coopérateur est intéressé dans la chose publique, il se sent désormais citoyen et homme libre ; les assemblées générales ne sont pas là pour le dividende seulement, mais pour donner lieu à des réunions parfaitement genteel et respectable, où leurs femmes et leurs filles jouiront des plaisirs que peut procurer une société bien élevée. Club, comptoir, salon, affaires, plaisirs, tribune et représentation, vie politique et sociale, tout se trouve à la fois dans ces réunions ; l’artisan accomplit en bloc toutes ces fonctions diverses, dont il n’a pu encore opérer la division, n’ayant pas un loisir suffisant pour vaquer à chacune d’elle. Que les petites vanités et quelques ridicules qui, çà et là, se sont fait jour dans ces festivities et ces convivialities n’induisent personne en erreur. Les faiblesses de quelques individus n’empêchent pas que la classe ouvrière ne soit confiante en sa force ; elle veut conquérir un meilleur avenir par sa persévérance. En s’affranchissant de la misère, les travailleurs veulent entrer de plain-pied dans la vie politique et dans les jouissances de l’art et de la vie sociale, réservées jusqu’alors " for their better", pour de « meilleurs qu’eux. » Pour y arriver, ils ne négligent aucune occasion de s’initier à cette vie des classes supérieures que leur ambition secrète est de partager un jour.

« Nous autres gens de « basse classe, » nous ne sommes plus traités d’animaux féroces comme jadis ; nous avons fait sans doute quelques progrès depuis que Croker nous qualifiait à la Chambre des communes de brutes insatiables, et depuis que le Lord Lieutenant de Norfolk nous dénonçait comme des brigands et des incendiaires. Hopwood se raillait de nous en plein Parlement ; nous n’étions, disait-il, que des créatures d’instinct, de